Denis Desroussaux et Fabrice Bernex

Denis Desroussaux et Fabrice Bernex se sont tués en montagne Vendredi 7 Août 1998.

De quelques copains à Fabrice et Denis

Nous avions un ami, nommé Fabrice, et un autre ami, nommé Denis. Nous allons vous conter leur histoire qui est aussi un peu la nôtre.

Nos deux amis se connaissaient depuis l'enfance, bien avant que l'on ne les rencontre. Et c'est un peu autour d'eux que s'est construit ce groupe de copains. D'ailleurs ils avaient beaucoup de points en commun ; leur activité principale était très stimulante : se mesurer l'un à l'autre. Et c'était à qui gagnerai au ping-pong, à qui sauterai le plus loin en roller, à qui grimperait le plus haut en escalade, et surtout, à qui grandirait le plus vite. Bref, l'adolescence de ces deux-là dénotait d'un esprit combatif et ambitieux. Pour eux la vie était pleine de «challenges» qu'ils aimaient nous raconter par la suite. En les écoutant nous avons vite compris la complicité qui les unissait.

L'un d'eux compris bientôt que l'escalade avait une grande importance dans sa vie : il grimpait toujours plus haut, toujours mieux, tout en menant de brillantes études. De son côté, l'autre découvrit en lui une vocation de médecin. Et, comme c'était un battant, doté du sens de la compétition et qu'il ne ce serait jamais avoué vaincu, il n'avait pas abandonné non plus l'escalade ni la flûte traversière.

Nous qui avons à ce moment là fait leur connaissance, voulons témoigner de leurs passions et parler de leur personnalité. Nous voulons leur rendre un hommage simple et fraternel en nous remémorant leurs expressions préférées, quelques traits de caractère marquants, ou des détails tous bêtes qui ont jalonné les longues et joyeuses journées passées en leur compagnie.

Ainsi, comment pourrions-nous oublier leurs encouragements puissants lorsque nous étions en difficulté, en escalade comme dans la vie : les «bats toi», «on y croit», «allez, motivé !», «ça va le faire», «hyperventile !», etc...

On se souvient tous des mésaventures de Denis avec ses lentilles de contact, lorsque, croyant les avoir perdu il en mettait une autre paire, puis encore une autre, et finissait à sa grande surprise par en retrouver trois dans chaque œil le soir venu. Ou encore ses lunettes de soleil qu'il croyait systématiquement avoir égaré et qu'il retrouvait toujours au fond du sac lorsqu'il n'en avait plus besoin. Et que dire de nos pauvres K7 qui ont fondu sur le tableau de bord de sa R5. C'était souvent la voiture de nos vacances, toujours encombrée d'objets hétéroclites et de feuilles de cours qu'ils révisaient à la moindre occasion. Nous nous souviendrons encore de la petite Fiat Panda que conduisait Fabrice sur les nationales sinueuses menant vers les Alpes ou pleine à craquer devant le camping des Bossons, alors que nous partions tous, les sacs sur le dos.

Comment pourrions-nous oublier toutes ces belles longueurs d'escalade que nous avions le bonheur de découvrir ensembles : des Drus à la face sud de la Meije, du pilier Gervasutti au Grand Capucin, du Verdon à Céüse, des Calanques aux falaises de Haute Savoie, en passant par toutes ces sorties avec la fac puis l'Escalade Club de Versailles, les WE pluvieux à Saffres où Michel nous offrait le restaurant, ainsi que les bivouacs ou autres orages passés avec vous, serrés pour se tenir chaud. Et toutes ces nuits de camping, où la promiscuité ne nous faisait pas peur. Vous aviez chacun vos petites habitudes. D'aucun se souviendrons du rituel du coucher, mémorable chez Fabrice, des massages gracieusement accordés à Denis par certaines jeunes filles. Qui pourras oublier les soirées autour du feu, les repas pris ensembles dans nos gamelles en alu, à discuter de la «théorie des pattes» avec Fabrice, les nuits à chanter tous réunis sous les étoiles. Combien de jours, combien de soirs passés avec vous ? combien d'amis rencontrés lors de ces périples et qui demain vont être bien triste d'apprendre la nouvelle.
Vous n'aviez pas fini de nous étonner. On avait encore tant à faire avec vous, tant à apprendre de vous. Car vous ne nous aviez pas livré tous vos secrets. Tous deux, en effet aviez une pudeur qui vous empêchait de trop parler de vous autrement que sur le ton de la dérision (vanité pour rire et vraie modestie). Vous partagiez ce côté un peu mystérieux qui nous attirait.

Nous savons que vous n'auriez pas voulu qu'on fasse pour vous un hommage trop triste et terne. Aussi avons nous essayé d'être fidèle à votre esprit, à vos goûts. Vous n'auriez pas voulu non plus qu'on vous mette à tout prix en valeur. Vous auriez souhaité qu'on se souvienne de vous avec vos qualités et vos défauts.
Alors nous allons énumérer quelques unes de vos qualités et nous laisserons à chacun le soin de se remémorer les défauts qu'il voudra garder en mémoire.

Denis

Tu avais un style tout à toi, indissociable de ta forte personnalité. Beaucoup te considéraient comme le Woody Allen de la médecine, avec ton humour (particulier il faut le dire, mais toujours drôle), ton pittoresque, ton originalité, ta volonté et d'autres choses que nous ne citerons pas. Tu étais un battant incroyable, sachant communiquer ta hargne et nous donner du coeur au ventre. Malgré ton apparence fouillis tu étais très organisé et perfectionniste, et cela pour tout ce qui te tenait à coeur : la médecine, la flûte, l'escalade. Tu mêlais tout cela avec bonheur. Tu étais tout sauf superficiel mais tu savais ne pas te prendre au sérieux et tu tournais tout en dérision au grand dam de certains. Souvent tu semblais peu sûr de toi, après des examens par exemple, mais en réalité quelle maîtrise !

Avec ton pantalon patchwork, ta chemise à fleurs, ton écharpe autour du coup et ton Döeffel Coat, tu resteras longtemps parmi nous.

Adieu Maestro

Fabrice

Tu avais les yeux bleu, le regard décidé et plein de douceur, une carrure d'athlète (avec le dos en «v») et un mental de gagnant ignorant la peur et le doute. Tu avais en toi une grande force et un grand calme qui te faisaient aller au bout des choses que tu entreprenais. Ta gentillesse et ta bienveillance étaient exceptionnelles. Toujours là pour tempérer des propos excessifs, rassurer, aider et conseiller. Tu occupais une place importante parmi nous. Ta simplicité et ta franchise étaient des vertus appréciées. Tu prenais la vie avec philosophie, en voyant le bon côté des choses. Lorsque nous partions ensembles, tu étais toujours motivé, toujours d'accord pour aller grimper, toujours partant pour les bons moments. Nous n'oublierons jamais ton émerveillement devant une belle ligne d'escalade ou une belle montagne.

Il restera des traces, sur le calcaire et la résine, il restera des échos de voies, de sourires et des poignées de mains, il restera des photos avec toi et des endroits vides sans toi. Mais nous saurons toujours comment et où te retrouver quand nous en ressentirons l'envie.

Adieu Gringo

En guise de conclusion

Bien sûr ce sont des moments délicats, bien sûr la réalité est dure à avaler. Nous avons tous une boule dans la gorge. Pourtant s'il y a un message que nous voudrions délivrer, c'est un message d'espoir, c'est leur message. Ils n'étaient pas du genre à en faire un plat, ils étaient forts et se seraient vite relevés. Ils nous auraient remué, ils nous auraient bougé, ... ils nous auraient emmener grimper, rire et vibrer avec eux. Alors relevez la tête, pensez à eux et souriez.


Eulogie écrite par Frank Pleinier

Denis

Je t'ai connu grâce à Fabrice et je lui en sais gré. Grâce à toi mon coeur s'est agrandi. Je ne suis pas seul heureusement aujourd'hui pour partager ma tristesse, parce que, tout comme Fabrice, tu m'a présenté tes amis.

Je n'oublierai jamais tes confidences, ton intimité et ta simplicité, ni tes yeux malicieux et ton verbe haut et triomphant. Tu savais te mettre à la portée des gens pour les entendre et les comprendre. Tu étais tour à tour drôle, tendre, proche et lointain, volontiers provocateur, un brin insolent avec les gens trop sûrs d'eux, toujours prêt à rire. Tu avais fait de ton humour une thérapie pour tes amis et toi-même. Tu étais un type génial, très spirituel et pudique je crois. Je sais que comme nous tous tu te posais beaucoup de questions, tu doutais, mais tu avais cette force intérieure puissante qui te soutenait et te faisait progresser à pas de géants dans la vie, tant sur le plan intellectuel, que spirituel ou humain.

Tu étais pour moi et avant tout un ami précieux. Je te cherche désespérément et avidement dans ma mémoire. Je suis un peu perdu. Je crois que si tu avais un message à faire passer dans pareil cas ce serait : «face à la peine et au chagrin, soyons forts, soyons solidaires, aimons nous et aidons nous les uns les autres.»

Fabrice

Déjà six années que nous nous connaissons toi et moi. C'est si long et si bref. Elles ont été denses et riches à ton contact. Evidemment nous aimions tous ta gentillesse. Pour nous tu étais un type adorable, bourré de qualités. On se rappellera de toi, entre autre, comme un grimpeur émérite. Tu adorais cette activité, dont tu communiquais la passion et le frissons à tous. Tu avais l'art de pousser les gens pour qu'ils donnent le meilleurs d'eux-mêmes. Nous prenions exemple sur toi, tu vas nous manquer.

Tu étais surtout un garçon avisé, réfléchi et posé. Combien de fois tes avis emprunts de bon sens ont été écoutés. Tu aimais rire et ton humour ne nous lassais jamais. Brillant dans tes études, grimpeur adroit, ami cher et regretté, tu nous quittes trop tôt en nous laissant tous orphelins.

Je me souviens de moments inoubliables que nous avons partagés dans cette montagne belle et terrible, du granit ensoleillé des Alpes au calcaire du Verdon en passant par les falaises de Provence et Fontainebleau. Souvent nous avons été compagnon de cordée. Nous avons partagé les bon moments comme les moments difficiles (lorsque l'eau ou le froid nous tourmentaient aux bivouacs). Ta patience faisait alors merveille. Tu étais d'un naturel optimiste et enjoué qui faisait tout ton charme et le bonheur de tes amis.

Si aujourd'hui j'ai un seul reproche à te faire : c'est celui d'être parti trop tôt, sans prévenir.

Tu garderas dans notre coeur une place de choix et ton visage éclairé de ton plus beau souvenir restera gravé dans notre mémoire. Je me souviens de ton regard bleu si familier. Je me souviens d'un Fabrice tellement unique et irremplaçable.

L'Espoir

Aujourd'hui nous sommes désemparés. Nous ne pouvons tourner la page. Comment accepter ce chagrin ? Comment transcender notre douleur personnelle, égoïste, pour soulager celle des autre ?

Peut-être dois-je vous dire à tous ce que j'ai vu et ressenti dans cette petite église l'autre jour. Anéanti et choqué j'étais venu allumer deux bougies et me recueillir. Le soleil tombait par le vitrail, lorsque levant les yeux j'eus comme une vision. Je les ai senti tout proche.

Vous deux, Denis et Fabrice. Vous étiez là ensembles et me regardiez. J'entendais vos rires et vos voix. «Allez Franck, fais pas cette tête.» «Il est con, il va finir par nous faire chialer», «d'abord cette voie d'escalade elle était même pas belle»...

Puis plus gravement et sur un ton affectueux ils m'ont parlé doucement : on est là, près de vous, avec vous. On vous aime, tu leur diras...

Il y avait beaucoup de non-dit dans nos relations, aujourd'hui je regrette de ne pas vous avoir dit plus souvent à quel point je tenais à vous.