Orage et Désespoir sur le Paretone

"Ne jamais gravir quelque chose dont on ne voudrai pas redescendre..."    — La 2ème règle du solo.
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Mise à jour 2006: il y a eu récemment 2 éboulements sur le Paretone, un gros sur le 4eme pillier et un autre en plein sur la longueur clef de l'arête Nord-Est.


1ère partie: Arête Nord (D IV+ 1150m)

7 septembre 96 — Le temps est nuageux, mais sur le Gran Sasso, l'orage arrive en général tard et il n'est que 7 heures du matin quand j'arrive au pied de l'arête nord du Paretone. En solo je devrais bien être sorti avant la pluie. J'ai déjà fait cette voie entière et du bas. On m'avait dit que le bas était en mauvais rocher, mais finalement je préfère nettement ce départ à la cengia dei fiori, une vire inexistante avec des pas de 4 expo en traversée. Je suis léger: short, tee-shirt, et dans un petit sac: 2 Mars, un collant, une chemise et un K-way.

La première longueur est la pire: beaucoup d'herbe avec des cailloux qui dépassent et déjà une exposition maximale. Je slalome entre les plaques d'herbe en essayant de trouver les 2 ou 3 malheureux pitons abandonnés qui indiquent où passer. A la fin de cette longueur, il commence à tomber quelques gouttes. J'attends 5 minutes, ça se calme et je repars en me disant que c'est tout pour la journée. Je passe le couloir puis le tunnel en faisant un peu de ménage. Les blocs vont s'écraser 200m plus bas. A la cheminée je me demande toujours par ou passer, je change l'itinéraire de la dernière fois et passe à l'extérieur, wooof, ya du gaz. Le reste est facile jusqu'à la cengia dei fiori, confortable vire herbeuse à cet endroit là.

De là, après 200m faciles j'arrive sous la longueur clef, le IV+ de 50m. Le vent se lève brutalement et il commence à neiger ! Je me réfugie dans un trou (cercle vert sur la photo) et enfile les quelques vêtements que j'ai apporté: collant, chemise, K-way. Bah, il est seulement 9h30, je vais attendre que ça s'arrête. Je me roule en boule dans la grotte et m'endors rapidement.

Vers 13h je me réveille et il y a 10cm de neige sur la paroi !!! Mamma mia ! Le choix est vite vu: passer la nuit ici et geler, tenter de continuer pour tomber dans le IV+ enneigé ou se perdre au sommet, ou tenter de redescendre par la cengia dei fiori, unique sortie à mi-paroi. Je mets un bon moment à me décider en espérant que ça s'arrête: va pour la redescente.

Après une vingtaine de mètres de descente, ça va pas du tout: j'ai déjà les mains complètement insensibles. Je remonte dans la grotte, fais un trou dans mes chaussettes pour passer le pouce et me les mets sur les mains. J'attends jusque vers 16h sans succès que le temps se calme. Il y a maintenant 15 centimètres de neige. Bon, on va pas y passer la nuit, faut y aller !

La descente est, on s'en doute, particulièrement pénible. Les chaussons d'escalade sur la neige, c'est pas terrible comme adhérence. Je dois nettoyer toutes les prises avec les mains avant de pouvoir poser le pied. J'arrive sans trop de problèmes à la cengia dei fiori mais je dois m'arrêter un bon moment pour me dégeler les mains. Il neige moins et la température remonte un peu, faisant fondre la neige. Les choses sérieuses commencent. Il y a tellement d'eau qui ruisselle sur la paroi qu'on se croirait sur les toboggans du Marineland. Je cherche ce putain d'itinéraire que j'ai jamais vu avant agrippé sur des prises que je ne sens même plus. Ceux qui on déjà pris cette vire à la montée imaginent facilement le problème: pas de position de repos et du rocher pas terrible.

Deux heures plus tard et à 20 mètres du bas, la fatigue et l'espoir aidant, je commence à me relâcher et je glisse des deux pieds. La décharge d'adrénaline me rappelle que je préférerais arriver en bas lentement. Bon, demain je reste au lit.


[ParetoneBig.jpg]
Le Paretone, face est du Gran Sasso. A gauche le couloir Janetta, à droite l'arête nord. Les deux voies sortent sur l'antécime N-E du sommet oriental.

Gauche: Le Paretone, face est du Gran Sasso. A gauche le couloir Janetta, à droite l'arête nord. Les deux voies sortent sur l'antécime N-E du sommet oriental.



2ème partie: Couloir Janetta (AD+ IV 1500m)

20 avril 97 — Il y a longtemps que j'attends, mais cette fois les conditions semblent excellentes pour s'attaquer à la plus grande voie des Appenins. Je n'ai trouvé personne, alors bon, va pour un solo de plus. J'avais déjà tenté cette voie avec deux copains, mais on s'était perdu dans le brouillard sans même trouver le départ. Cette fois-ci j'arrive assez tôt pour avoir le temps de me repérer: c'est facile, de la Fontana Nera, c'est tout droit, même pas besoin de s'embêter à prendre la route. Je mange au petit restaurant à l'entrée de San Nicola et déroule mon sac de couchage à coté de la voiture, à la fontana nera.

Départ à 3 heures du matin. Presque tout de suite je rame dans une neige croûtée pénible qui me fait arriver au pied de la voie aux premières lueurs du jour. La neige est meilleure par ici, le mixte intéressant. Bon, le topo dit de monter sur la gauche du dièdre puis de le rejoindre et de le traverser. J'arrive dans le dièdre et ça à l'air furieux leur IV+. En plus des cailloux commencent à tomber.

Je repars en arrière et continue par la gauche dans du mixte herbeux après avoir hésité à redescendre. C'est plus facile et j'arrive au dièdre qui est ici beaucoup moins raide, mais en rocher déliquescent. Ce n'est pas du IV+, mais du PH (pourri & herbeux). Je n'enlève même pas les crampons. Erreur.

J'avale un Mars lors d'une petite pause en sortant du dièdre, sous la Farfalla, ce grand mur en forme de papillon qui abrite la voie la plus dure du massif. La neige est dure et excellente, le temps est beau, je prends mon pied... jusqu'au moment ou j'entends un bruit de clochette. Je regarde entre mes jambes et je vois la partie avant de mon crampon droit en train de dévaler tranquillement la pente ! (cercle vert sur la photo). Je me creuse une plate-forme pour constater l'étendue des dégâts: 3 des 4 pointes avant sont tombées, de même que l'anneau qui tient le crampon sur la chaussure... Aïe, aïe, aïe...

Avec de la cordelette j'attache le mieux possible ce qui est désormais un '9 pointes'. J'ai déjà passé toutes les difficultés, pas question de redescendre, il est beaucoup plus facile de continuer. Je repars doucement: sur la neige ça va encore avec le pied de travers, sur la glace je grimpe sur un pied et dans le mixte c'est très... traître. La cordelette se détend avec l'humidité et je dois la resserrer plusieurs fois. C'est lent. Le temps se gâte, des gros nuages arrivent derrière le sommet.

Avant de perdre la visibilité dans le brouillard, j'ai le temps de voir que la sortie normale du Janetta est toute en dalle recouverte de glace fine. Bien trop délicat. Je passe par le couloir de droite. Il est en glace et assez raide. 20 mètres sous la sortie un petit ressaut en mixte me fait longtemps hésiter: je dois mettre le pied droit sur une petite prise et je ne peux ancrer ni les piolets, ni l'autre crampon. Pendant une seconde tout l'univers repose sur une pointe de crampon.

A 11h je suis sorti sur l'antécime. Je croyais pouvoir y être tranquille, mais une très violente tempête amenée par un vent d'ouest a déjà déposé 60 cm de neige fraîche. La face est était abritée. La visibilité est réduite à 1 mètres et, bien sûr, je casse mes lunettes en les enfilant. C'est pas mon jour. Des grosses plaques sont déjà formées et je décide de redescendre par la normale. Je passe une heure à chercher le début de la descente mais, bien sûr, j'ai oublié mon altimètre et suis complètement perdu. J'ai un mal de chien à revenir à l'antécime, pas question de redescendre l'arête nord, j'ai déjà donné.

Je prends finalement la vielle ferrata Ricci ou des coulées de poudreuse dégringolent dans les goulottes. Vers 13h je suis au Franchetti où des grimpeurs sidérés me voient sortir du brouillard avec un seul crampon. Bon, ce soir je vais en boite, ça me reposera.


Morale de l'histoire

Ya pas de morale, quand on a envie de faire le malin, il ne faut pas compter sur sa maman ou sur un hélicoptère pour vous sortir de la panade ! Il n'y a qu'une manière des faire de la montagne: c'est entier.